mardi 14 septembre 2021

La « liberté d’enseignement », un droit constitutionnel ?

 

La « liberté d’enseignement », un droit constitutionnel ?

On peut lire dans la prose des défenseurs des Boutons d’or : « Exit les parents d’élèves, dont les choix ne seront pas pris en compte, malgré la Déclaration universelle des droits de l’Homme, élaborée en réaction aux atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale dès 1948, qui précise : « les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » Il s’agit d’un garde-fou démocratique inestimable. »

La « liberté d’enseignement », à savoir la liberté pour les familles de choisir l’éducation de leurs enfants (école publique, privée sous contrat ou hors contrat, à domicile) est présentée par les défenseurs des écoles dites « libres », comme une liberté constitutionnelle. Qu’en est-il exactement ?

Historiquement, cette liberté a toujours été opposée par l’Eglise catholique dès lors que l’Etat lui a enlevé son monopole sur l’instruction des enfants. Rappelons ce que Jules Ferry disait dans sa lettre aux instituteurs (18 septembre 1883) : le législateur « a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux  domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous. »

Dans l’Assemblée Constituante, élue le 2 juin 1946, les Constituants refusèrent d’inscrire la liberté de l’enseignement dans les principes constitutionnels. Le projet adopté par le référendum du 13 octobre 1946 ne contenait pas la « liberté de l’enseignement ». Préambule 1946 :  qu’y lit-on ? : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. »

L’erreur faite (sciemment ?) est de se référer non pas à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946 et repris dans celle de 1958, mais à la déclaration des droits de l’homme de 1948 qui elle, n’est pas inscrite dans la Constitution.

Cependant, les juges du Conseil constitutionnel décident le 16 juillet 1971 de donner force constitutionnelle au préambule de la Constitution mais aussi aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) qu’ils incluent dans le « bloc de constitutionnalité ». Ces principes essentiels du droit français, créés par le législateur mais non écrits dans la constitution et érigés en norme constitutionnelle s'imposent alors au législateur comme à l'administration. C'est principalement le juge constitutionnel qui définit les PFRLR d’où de larges critiques qui sont apparues : à l'époque de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel fut accusé de « gouvernement des juges », prenant ainsi la place du constituant en faisant entrer dans le champ constitutionnel des textes qui auraient volontairement été laissés de côté lors de l'élaboration de la Constitution de la Cinquième République.

 Ainsi, le 23 novembre 1977 : le Conseil constitutionnel a lié la Loi Debré (31 décembre 1959) et la Loi de 1971 sur les Associations, pour considérer que « La loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l'enseignement est déclarée conforme à la Constitution ».

 En conclusion, oui c’est un droit constitutionnel mais qui n’a JAMAIS été validé par le peuple français et qui n’est pas dans le texte de la Constitution. « Le gouvernement des juges commence quand ceux-ci ne se contentent pas d'appliquer ou d'interpréter des textes, mais imposent des normes qui sont en réalité des produits de leur propre esprit. »  Georges VEDEL


1 commentaire:

  1. Gros travail de fond de votre part, lucide, documenté, toujours pertinent.

    Vous avez mille fois raison, l'école laïque, républicaine et gratuite... Gratuite, qui nous a permis l'égalité des chances, l'université gratuite aussi, nous ne remercierons jamais suffisamment cet enseignement, son enseignement.

    Accéder aux savoirs supérieurs parce que c'était possible, sinon la frustration de n'avoir pas les moyens financiers d'y accéder et de passer à côté de ce qui a fait nos vies, un métier rêvé, ailleurs impossible dans ces écoles de bobos pour riches.

    Il faut sauver cette école gratuite, sinon demain les décideurs seront la caste de ceux qui peuvent se payer les cursus valorisants.
    Enseignement ésotérique à pleurer d'incompétence, juste pour ceux qui ont les moyens de faire végéter leurs enfants et qui à force obtiennent des résultats.

    Continuez ! Vous faites un travail dont-on vous sait gré, tant que Charlie publiera nous pouvons nous sentir en sécurité et en liberté.

    Ces écoles Steiner et autres sont dans la ligne de ce décrivait Jérôme Fourquet, un pays qui devient un archipel, la culture "woke' ou la "cancel" culture pour hémiplégiques de la pensée.

    Votre documentation et argumentaire est impitoyable, vous méritez tout notre respect pour votre ambition d'informer, merci.

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